Le Clos Thou à Jurançon

Ce domaine occupe une place toute particulière pour moi: c’est en effet le tout premier à intégrer le catalogue du Chenin des Vignes! Par souci de transparence, je vous précise d’emblée que je ne me suis pas encore rendu au domaine. Alors que je connais leurs vins depuis plusieurs années désormais, j’ai en fait eu l’opportunité de rencontrer Henri Lapouble-Laplace et son épouse sur un salon près de chez moi, ce qui a été l’occasion d’un long échange avec le couple. Je n’ai donc aucune photo intéressante à vous montrer, mais j’espère pouvoir me rattraper ce printemps!

Histoire

Les origines du clos Thou remontent aux princes de Bearn et à Henri IV qui les premiers introduisirent la notion de cru. à l’époque, c’est une certaine Raymonde de Thou qui possédait ces terres, et a donc donné son nom au domaine actuel.
C’est plus tard que les arrière grand-parents de Henri Lapouble-Laplace ont pris quelques parcelles en métayage, puis en fermage, avant d’acheter ce qui deviendrait le domaine en 1920. A l’époque, il n’était point question d’un domaine viticole, mais d’une exploitation agricole en polyculture (un peu de vigne, des vaches, des pommiers, des fraises, etc).
Plus tard, le Grand père d’Henri, déporté en Allemagne, y fait la connaissance d’un viticulteur de Génissac et se lie d’amitié avec lui. A leur retour, ce dernier incite le grand-père à mettre sa production viticole en bouteilles plutôt qu’à la livrer en tonneaux aux estaminets locaux, comme cela se faisait à l’époque. La production du Clos Thou commence donc en 1948-1950. A départ, le domaine comptait 75 ares en production!
Henri s’installe en 1990 et commence petit à petit à planter des vignes en fonction des droits accordés par les instances officielles. Avec quelques arpents autorisés annuellement, c’est un travail long et fastidieux… Chemin faisant, le Clos Thou atteint sa taille actuelle de 9 ha. Au fil des plantations, Henri en a profité pour réintroduire sur son exploitation des cépages anciens tombés peu à peu en désuétude comme le camaralet et plus récemment le lauzet afin de complexifier ses vins (le cépage intégrera les cuvées dans les millésimes à venir).
à partir des années 2000, avec l’association à laquelle il appartient, avec notamment Jean-Marc Grussaute (Camin Larredya), il commence à faire des analyses plus poussées de son terroir avec l’aide des nouvelles technologies viticoles, et commence à faire des essais en bio, avant de sauter définitivement le pas en 2007 et d’être certifié en 2010.

Le vignoble

La typographie du domaine est simple à appréhender: une grande parcelle de 7 ha compose l’essentiel du parcellaire, complétée par une parcelle d’1 ha exposée à l’ouest dédiée majoritairement à la production de sec et d’une dernière parcelle d’1 ha également, orienté sud-sud-ouest (permettant de produire notamment La Cerisaie).
Si les parcelles sont peu éclatées, elles recèlent par contre de grandes différences de terroir. Les sols sont tous de type argilo-limoneux (poudingues de Jurançon). En profondeur, on trouve un socle calcaire qui expliquerait que les sources trouvées en profondeur soient plutôt basiques, alors que les sols en surface sont acides. Cependant, dans la mesure où les parcelles sont en coteaux, la profondeur des sols varie grandement. En haut de coteau, la couche arable est très mince et plus ensoleillée. Inversement, en pied de coteau, le sol est profond. Ceci , ainsi que les différences d’exposition, explique que les hauts de coteau soient plus adaptés au passerillage, donc à la production de vins moelleux/liquoreux, par exemple. Henri voit ses parcelles comme une mosaïque de terroirs qu’il continue toujours à apprivoiser.

Travail à la vigne

Henri n’a pas sauté le pas de la biodynamie, trouvant certains de ses concepts quelque peu ésotériques. il ne s’interdit par contre certainement pas l’utilisation de certaines préparations biodynamiques qu’il juge pertinentes.: il est avant tout cartésien et pragmatique dans son approche de la viticulture. Il utilise notamment des engrais verts, des thés de compost etc. Actuellement, il souhaite s’affranchir des engrais organiques pour exclusivement utiliser des engrais verts qu’il produit à l’aide des plantes du domaine. Il travaille également énormément sur la composition de ses engrais et des plantes qu’il met en place sur les inter rangs afin de favoriser au maximum l’enracinement en profondeur des ceps. Ceci lui éviterait un travail trop important des sols, qu’il n’aime que modérément pratiquer.
Depuis 2014, il utilise un nouvel appareil permettant de tester la maturité des raisins. A partir de la véraison, des prélèvements de raisins sont effectués toutes les semaines. Ces derniers sont alors photographiés et analysés par la machine, notamment sur les critères de couleur et de volume des baies. A l’aide de ces données, on peut déterminer la période à laquelle les baies cessent leur croissance végétative et entrent dans la phase de concentration des jus, et à partir de là les fenêtres aromatiques intéressantes en fonction des vins que l’on souhaite produire.

Henri travaille uniquement les cavaillons mécaniquement, les inter rangs restent enherbés, et il se contente de tondre et de couvrir le sol à l’aide de mulching notamment afin de limiter la croissance des plantes vivaces et de les empêcher de trop concurrencer la vigne. Il fait parfois un très léger travail de surface à l’aide d’un disque.
Les vignes sont conduites en hautain traditionnel à Jurançon, mais en fonction des parcelles qu’il a pu replanter, Henri a varié les hauteurs de raisin.
Si les vieilles vignes ont une densité de 3000 pieds/ha, les plantations récentes qu’il a effectuées sont plutôt à 4500 pieds/ha. Ces densités faibles d’autrefois s’expliquent notamment par le fait que les exploitations étaient en polyculture, et que les agriculteurs n’avaient pas de matériel  spécifique permettant des densités plus importantes (rangs plus resserrés et ceps plus proches). Une autre explication serait que les vignerons de l’époque espaçaient plus les ceps afin de favoriser une meilleure circulation de l’air et de limiter ainsi les attaques de mildiou. Les rendements sont donc modérés (35hl/ha dans les millésimes classiques). 2013 avait été très compliqué à ce niveau, avec des rendements de l’ordre de 17hl/ha, remettant en cause la pérennité de l’exploitation à l’époque.

Vinifications

Les secs sont pressurés en vendange entière. Henri utilise à ce moment une souche de levures lui permettant de ne pas soufrer, ce qui a l’avantage de préserver certaines levures indigènes qui seraient tuées par l’adjonction de soufre, ceci dans le but de complexifier la flore bactérienne et par conséquent les vins. Par la suite, les levures indigènes prennent naturellement le relais lors des fermentations.
Les élevages se font sur lies, sans bâtonnages car Henri trouve que ceux-ci ont tendance à oxygéner les vins, induisant des arômes qui ne lui plaisent pas. Il se contente donc de surveiller les barriques avant les assemblages finaux.
A ce niveau, les raisins sont vendangés en plusieurs tries, vinifiées séparément puis assemblées en fin d’élevage, afin de préserver de la fraîcheur (tries précoces) et d’avoir une bonne complexité aromatique (tries ultérieures).
Les élevages se font en fûts de 400 litres pour l’essentiel des cuvées, avec une exception notable:  le Suprême de Thou qui est élevé en foudres. La proportion de bois neuf est faible (15% de renouvellement annuel), et les chauffes sont moyennes. Henri aimerait par ailleurs tester des nouvelles barriques proposées par un de ses tonneliers, où le feu est remplacé par une céramique chauffante, limitant encore plus les arômes empyreumatiques.
Le filtrage (sur terre) et le collage (bentonite) sont légers (10g/hl max) afin de ne pas appauvrir et décharner les vins.

par ailleurs, en raison de la demande sur ses vins, Henri achète désormais un peu de raisin à l’un de ses voisins pour produire une cuvée de sec (Délice de Thou sec) et une de moelleux (Délice de Thou moelleux) afin de compléter sa gamme.

Les millésimes récents sont satisfaisants:

2015 est pour Henri un grand millésime, dans la lignée de 1995 et 2005, avec un bel équilibre et un grand potentiel de vieillissement
2016 est un millésime généreux, assez facile en culture: peu de mildiou, pas de sécheresse) avec une belle récolte, tant en qualité qu’en quantité.
2017 est également un très beau millésime, proche de 2015, avec des rendements en baisse notamment sur le petit manseng à cause de la sécheresse qui a induit des blocages de maturité et un épaississement important des peaux. C’est concentré, équilibré avec notamment des secs frais et bien fruités.
2018 a été marqué par d’importantes attaques de mildiou notamment sur juillet, et si certains de ses collègues ont pris très cher, Henri s’en sort correctement. Les vendanges sont encore en cours lors de notre rencontre, il n’est donc pas encore possible d’avoir un avis définitif, mais Henri semble à nouveau confiant quant à la qualité des vins à venir.

Les vins

La gamme se décompose donc en:

  • 2 secs
    • Délice de Thou issu de l’achat de raisins
    • Guilhouret
  • 2 moelleux
    • Délice de Thou issu de l’achat de raisins
    • Julie (environ 60g de SR)
  • 2 liquoreux
    • Suprême de Thou (100/110g de SR)
    • Terroir La Cerisaie (VT sur la parcelle de La Cerisaie)

Précisons ici que les vins moelleux/liquoreux sont issus du passerillage, on ne produit pas de vins botrytisés sur l’appellation Jurançon.

Guilhouret est issu des premières tries d’octobre (35-40 hl/ha). C’est un assemblage de 50% gros manseng, 20% petit manseng, avec le reste en petit et gros courbu et camaralet). L’élevage se fait sur lies entre 6 et 10 mois avec passage partiel en fûts. L’assemblage final a lieu en fin d’élevage, avant la mise, qui voit un léger soufrage afin de stabiliser les vins.
Le 2017 que j’ai goûté présente une belle richesse aromatique, du volume,  le tout sous-tendu par une très belle trame acide qui porte le vin et le relance très joliment en finale, lui conférant une bonne longueur. C’est un vin de gastronomie, pour la table, qui n’aura pas peur de vieillir un ou 2 ans pour livrer son plein potentiel et le maintenir quelques années.

Julie est issu des tries de fin octobre (3 hl/ha) . C’est un assemblage de gros manseng et petit manseng dans les proportions variable, généralement 60%/40%). l’élevage se fait sur lies pendant une dizaine de mois, partiellement en fûts.
2016 est déjà tellement ouvert qu’il sera difficile de le conserver malgré son potentiel de garde d’une petite dizaine d’années à mon avis. C’est un bon moelleux, avec du fruit, de la fraîcheur et de beaux amers en finale qui lui confèrent de la gourmandise et beaucoup de charme. Il pourra aussi bien passer en apéritif qu’avec du foie gras ou de la cuisine exotique par exemple.

Suprême de Thou est issu de baies passerillées vendangées lors de la seconde moitié de novembre. Les rendements sont faibles (20-25 hl/ha). c’est une cuvée mono-cépage issue de petit manseng qui est élevée un an sur lies 100% en fûts.
Le 2016 (90g de SR) est un vin superbe, long, déjà complexe, ample, porté par une remarquable acidité qui le relance encore et encore. de la belle ouvrage, vraiment, qui mérite de l’attendre quelques années afin qu’il commence à développer les arômes truffés typiques des Jurançon à maturité. Il est déjà cependant délicieux dans sa jeunesse, et il n’est pas inenvisageable d’y mettre le nez dès maintenant!

Terroir de la Cerisaie est une vendange tardive issue des derniers passages de l’année, début décembre. Les rendements sont minuscules (15hl/ha), l’élevage dure 18 mois en fûts sur lies avec quelques bâtonnages.
2015 est à mon sens un grand vin en devenir, d’un équilibre parfait, riche, long, complexe, là encore porté par sa colonne acide qui ne le rend jamais lourd ou écœurant. C’est déjà superbe aujourd’hui, mais je suis curieux de voir où cette bouteille en sera dans 15 ans.

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